La finance verte veut nous imposer une agriculture « bas-carbone » incapable de subvenir aux besoins de 9 milliards d’humains. Dans le même temps, elle prend le contrôle de la FoodTech pour « Uberiser » les agriculteurs, qui seront mis en servage. Notre projet est au contraire de mettre l’innovation à leur service.
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La folie de l’ECF : “Supprimer les 3/4 de l’élevage”
« Les jeunes que j’ai croisés vendredi [à la Marche du siècle pour le climat, ndla] font déjà attention à leur consommation de viande », se félicite Laurence Tubiana, présidente de la European Climate Foundation (ECF).
La European Climate Foundation est un porte avion de la finance anglo-américaine et finance massivement les ONG environnementalistes françaises (voir notre dossier « Le New Deal vert : Sortir du piège de la finance verte »). Ses statuts visent à la « neutralité carbone » de l’économie européenne, conformément à l’Accord de Paris de 2015.
Dans son plan Net-Zero Agriculture in 2050, l’ECF propose : « une baisse de 75% de la consommation de viande » comme mesure phare pour « réduire de 80% le bilan carbone de l’agriculture. » Pour y arriver, l’ECF invite à rendre « climato-cohérentes » les politiques alimentaires et sanitaires, ainsi que celles relatives au bien-être animal. Il s’agit par exemple de « réduire de 10% les apports caloriques des européens » et de faire payer aux consommateurs le coût climatique de chaque produits ».
L’association néerlandaise True Animal Protein Price Coalition (TAPPC) précise le montant d’une taxe carbone suffisamment dissuasive pour réduire de 67% la consommation de viande rouge en Europe : 4€70 sur le kilo de boeuf, soit une hausse de 25%.
Le mouvement des gilets jaunes a mis un coup d’arrêt à la hausse de la taxe carbone sur le carburant. Mais Emmanuel Macron a répliqué en créant le Haut-Conseil pour le Climat et en y nomme la présidente de la European Climate Foundation !
En “agriculture sur sol vivant” (une méthode innovante et peu connue du grand public), le carbone est un élément essentiel à la fertilité du sol, parce qu’il nourrit les vers de terre et autres organismes. Voir à ce sujet notre article : Lucien Séguy et le “sol vivant”, produire plus avec moins.
L’étude de la European Climate Foundation mentionne cette nouvelle agriculture, mais, obnubilée par le réchauffement climatique, elle préfère « la forêt [qui] offre de plus grand bénéfices d’atténuation ». Malgré les méthodes prônées (la réduction des surfaces agricoles et l’utilisation de méthodes bas-carbone) l’objectif zéro carbone agricole en Europe n’est pas atteint par le rapport. Dans sa conclusion, l’ECF suggère donc d’utiliser, comme puits de carbone, les terres agricoles de pays hors de l’UE ! Vous avez dit colonialisme vert ?!

Un label “agriculture bas-carbone” calibré pour la finance
La très libérale Commission Européenne veut atteindre la neutralité carbone en marchandisant le carbone. Dans son document stratégique « Farm to fork » (de la ferme à la fourchette), écrit pour inspirer la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC), on peut lire :
« Les États membres pourraient utiliser ces règles [de certification] pour concevoir des paiements au titre de la PAC fondés sur le carbone séquestré et les entreprises privées pourraient également vouloir acheter de tels certificats pour soutenir l’action pour le climat, ce qui constituerait une incitation supplémentaire en faveur de la séquestration de carbone par les agriculteurs et forestiers. »
L’agriculteur, en partenariat avec une entreprise, disons Air France, pourra obtenir un financement privé en échange de méthodes de production peu émettrices en gaz à effet de serre. La compagnie aérienne obtiendra en retour un « crédit climat » (droit à polluer) pour l’ouverture d’une nouvelle ligne aérienne. Greenwashing de l’industrie et de la finance, en échange d’une obole et d’un label pour l’agriculture !
Quelle conséquence pour le consommateur ? Cette politique signifie l’abandon des méthodes intensives de production, c’est-à-dire moins de viande et plus cher. C’est une montée des inégalités entre ceux qui auront accès à volonté à la viande de l’élevage en plein air (et aux voyages en avions) et ceux qui seront privés de protéines animales.
Historiquement, la PAC d’après-guerre assurait des prix rémunérateurs par une politique de stock et un protectionnisme européen. En 1992, cette politique est remplacée par la logistique en flux tendu et une concurrence débridée. C’est à partir de ce moment qu’est mis en place le système humiliant d’ « aides » de toutes sortes.
Les GAFAM et les gestionnaires d’actifs tels que BlackRock comptent imposer leur vision normative et verte, non seulement à l’agriculture, mais à toutes l’économie. Leur champion du climat, le banquier central Mark Carney, annonce d’autorité que « les entreprises qui ne s’adapteront pas à l’urgence climatique disparaitront ». Sa nomination au poste de représentant de l’ONU pour le climat est un pas de plus dans la politique du Great Reset (Grande Réinitialisation), discuté en 2021 au Forum Economique Mondiale de Davos (voir notre dossier « Green New Deal : Sortir du piège de la finance verte »[1]).
Xavier Niel crée 2MX organic “géant du consommer responsable”
Surfant sur la vague verte, Xavier Niel introduit 2MX Organic en bourse et présente son entreprise comme le « Tesla du consommer responsable » en référence à la voiture électrique envoyé dans l’espace par l’excentrique Elon Musk. 2MX Organic est un « véhicule d’acquisition », c’est-à-dire un ogre pesant 2 milliards d’Euro et dont l’unique objet est d’avaler des start-up de la FoodTech.
Qu’est-ce que la FoodTech au juste ? C’est les start-up innovantes de l’alimentation. La FoodTech inclut pêle-mêle les viandes cellulaires ou végétales, les cultures d’insectes, les capteurs et les drones dans les champs, la traçabilité par la blockchain et les services de drive et de livraison.
Prenons l’exemple de « La Ruche qui dit oui ! » : Fondé par Mounir Mahjoubi (devenu secrétaire au numérique d’Edouard Philippe), « La Ruche qui dit oui ! » est une plateforme de commande en ligne sur le modèle de la vente directe. Elle rapproche les producteurs et les consommateurs, en échange d’une commission. Court-circuit libérant de la valeur ajoutée ou uberisation des agriculteurs ?
Xavier Niel était déjà le premier en 2016 à utiliser un “véhicule d’acquisition” sur l’Euronext, pour lancer le groupe Mediawan, qui possède déjà 25 sociétés de production audiovisuelle et 17 chaînes de télévision ! Niel est le gendre de la troisième fortune mondiale, Bernard Arnault, ce qui ajoute évidemment à la « crédibilité » de ses levés de fonds spectaculaires sur les marchés financiers.
S’il s’est découvert une empathie envers la souffrance animale, c’est seulement depuis qu’il investit dans la « viande végétale » … En clair, lancer la mode de la frugalité entre dans son business plan. Disons le ici : reconnaître la sensibilité des êtres vivants est une chose, nier la différence de nature entre l’être humain créateur et l’animal en est une autre. En mettant la vie humaine à égalité avec la vie animale, il ouvre la voie à un relativisme dangereux, que même un décroissant comme Paul Ariès dénonce.

Et demain ?

Voyons sur le temps long et à l’échelle du monde. De nombreux pays asiatiques, sont aujourd’hui forcés d’importer leur viande, leur lait et l’alimentation végétale destinée à l’élevage. C’est la santé future des populations fragiles qui est en jeu : les enfants, les femmes et les plus âgés. Singapour, 70 fois plus densément peuplé que la France, a d’ailleurs autorisé la commercialisation d’une viande cellulaire fin 2020.
La viande cellulaire sera-elle économiquement possible ? Est-ce un scandale sanitaire à venir ? Elle est aujourd’hui 100 fois plus chère que la viande issue de l’élevage. Et les hormones de croissance utilisées pour multiplier les cellules souches sont en question, ainsi que les qualités nutritives de cette viande.
Peut-être des applications de ces biotechnologies se feront-elles d’abord en environnement contraint, là où il faut manger lyophilisé, comme dans le futur « village lunaire ». Une équipe russe, embarquée à bord de la Station Spatiale Internationale, a déjà imprimé en 2019 un steak à l’aide d’une imprimante 3D.
Mais gardons les pieds sur Terre. Les viandes de synthèse sont encore beaucoup trop intenses en capitaux pour être produites par des PME. En France, c’est l’élevage qui doit rester notre contrat social. Il permet d’entretenir les prairies et les bocages, ces paysages que le monde admire mais qui se vident de leurs habitants et s’ensauvagent faute d’écologie humaine.
L’élevage doit de nouveau permettre l’indépendance financière des hommes et des femmes qui nous nourrissent.
Antoine Beils, mars 2021